Chapitre 2 Scarface : Al Pacino à l’apogée de son art (partie 2).
Al Pacino a de nouveau percé l’écran 11 ans après le premier chapitre du Parrain, dans lequel il incarnait Michael Corleone, le revers de Tony Montana. Du mafieux élégant et impassible au caïd tapageur et impulsif, l’acteur offre dans Scarface un tableau amer de l’excès sous tous ses angles à contre-courant de la réussite stable et progressive de la dynastie Corléone.
Al Pacino transcende l’écran en “truand flamboyant, bavard, brutal et parano”.
Déterminé et courageux, Tony Montana ne cède jamais, même sous la menace d’une tronçonneuse. Dès ses premiers pas, il épate les plus aguerris et roule sa bosse à une vitesse vertigineuse. Après avoir éliminé ses premiers ennemis, il tue son boss, prend ses clients et par la même occasion sa femme, Elvira, jouée par l’hypnotique Michelle Pfeiffer.
L’histoire d’une ascension irrésistible brillamment portée par Al Pacino. Encensé par les critiques, même pour les plus sévères, il fait l’unanimité.
“Sans vouloir nier les qualités et l’efficacité de la mise en scène, il faut souligner que l’impact de ce magnifique divertissement est dû à un formidable numéro d’acteur. Scarface, c’est un film de Pacino, plus qu’un De Palma”. Le magazine Télérama ne pèse pas ses mots. De même pour The Hollywood Reporter pourtant déçu par le long-métrage. “Une performance inébranlable, intense et extraordinaire” admet-il dans ses colonnes.
Dans “une approche brechtienne, très théâtrale”, Al Pacino ressent la trame du film comme un « opéra » en raison de l’audace hors norme de Montana. “L’une des choses formidables quand on est acteur, c’est que soudain, tu es capable de dire à quelqu’un qui est sur le point de te trancher la tête avec une tronçonneuse qu’il peut bien se la fourrer dans le cul”, se réjouit la star devant le journaliste Lawrence Grobel. L’acteur voit en Tony un personnage littéralement “bidimensionnel”, un « renégat » qui « ne peut pas se conformer à un cadre » puisqu’il est systématiquement « hors de contrôle ».
“C’est le style du film. On ne cherche jamais à expliquer pourquoi Montana fait ce qu’il fait”, poursuit-il dans un entretien pour FilMagicians.
À l’apogée de son art, Pacino semble possédé par son rôle au point où il fera flipper tout le monde sur le plateau. Oliver Stone confiera d’ailleurs que l’acteur « l’intimidait ». Et il y a de quoi. Alors qu’il est attaqué par un chien en pleine répétition, Al Pacino a violemment frappé l’animal à coups de poing. Emporté par son interprétation, il assomme l’animal devant une équipe totalement “médusée”. “Le mec mettait tout le monde mal à l’aise. Je l’ai vu transformer Tony Montana en bête sauvage. Il y avait quelque chose de complètement décadent dans son jeu”. Cet investissement hors pair permettra à l’acteur de “transcender l’écran” en “truand flamboyant, bavard, brutal et parano” .
Montana : le revers de l’impassible Corléone.
La détermination de De Palma “faire un film outré, à la violence exacerbée, au langage ordurier, à l’esthétique hors norme”, se ressent dans tous les aspects de l’interprétation de Pacino. Il dévoile un charisme certain, tant dans sa gestuelle, son attitude, ses regards ou encore ce formidable accent cubain “kitchement” reproduit. Dos penché en arrière comme un boxeur à l’approche d’un coup, il maintient tout au long de son jeu une posture de prédateur caricatural, qui lèche ses babines à chaque pic de colère.
Autant d’éléments qui reflètent une volonté instinctive et bestiale de l’icône Montana, loin du style sobre de Michael Corleone (Le Parrain I, II & III), implacable et redoutable stratège à l’allure de grand sage.
Tony est un protagoniste opératique et tapageur à l’inverse du fils du Parrain qui aspire à la pérennité de son royaume basé sur le crime, le jeu, la contrebande et la corruption. En prenant les traits d’un empereur, qui entretient le calme et le silence pour mener ses opérations à bien, Corléone est la version « réfléchie » de Montana. A l’inverse, le Marielito de Miami se refuse toute approche raisonnable dans sa quête de pouvoir. Rappelons que, contrairement à son alter égo, il n’a pas pu compter sur une famille soudée : sa seule structure, c’est lui-même.
Son personnage incarne ainsi la criminalité dans la solitude, une solitude irrémédiablement conséquente qui ne peut que le mener vers un sentiment de toute-puissance et de paranoïa. Il fonctionne comme un enfant roi à qui on n’a mis aucune limite et dont les fantasmes dérivent fatalement dans sa propre réalité.
La suite dans le chapitre 2 de notre dossier sur Scarface.
Florise Vaubien
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