20 000 lieues sur la mer avec Molécule

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Molécule sort son nouvel album « 60°43’ Nord », réalisé dans des circonstances particulières.

Ça doit remonter à l’année dernière. Mon dernier article pour Open Minded. Entre les cours, les fêtes de fin d’année, les cours et les événements récents. Dur dur d’être un blogueur dirait Jordy. Bref, pour l’intro de l’article complètement foireux, c’est fait.

Nombreux sont ceux qui parlent de la musique comme d’un voyage immobile ou d’une invitation à un séjour sous des cieux différents. Relaxation, apaisement, tranquillité et tous les mots du champ lexical des RTT font partie des expressions qui reviennent lorsque l’on choisit cet angle pour commencer l’étude d’un album. Ce coup-ci, difficile de faire un pied de nez et de partir sur autre dès lors que l’album a été réalisé pendant un voyage.

Six semaines, 42 jours, 1008 heures, 60480 minutes ou un nombre incalculable de secondes. Voilà le temps pendant lequel Romain, alias Molécule, a pris le large à bord d’un bateau de pèche breton : le Joseph Roty. J’en vois certains se demander quel est le truc qui fait que l’on parle de Bretagne et de campagne de pêche sur Opn. Tout simplement parce que notre pêcheur n’est pas allé chercher de quoi nourrir les estomacs de de ses clients mais plutôt enrichir les fans de musique avec une nouvelle façon de l’entreprendre.

Comment ? En embarquant un véritable petit home studio à bord et en prenant les sons du bateau pour créer un autre son, une musique ancrée dans le réel et novatrice dans un album qui prend des allures de carnet de bord.

60°43’ Nord est le nom de ce projet. Un voyage initiatique entre vagues et marrées à bord d’un bateau de pêche en haute mer pendant lequel Romain s’est affairé pour réaliser un album. L’objectif étant de profiter de cette expédition pour produire un album et de ne pas y retoucher une fois revenu à la terre ferme. C’est chose réussie avec ce premier projet.

Dès la première écoute, on se retrouve après par les nombreux bruits qui rythment un séjour en haute mer. Rien à voir avec la musique concrète, les sons se mélangent les uns aux autres pour dégager une mélodie. Les bruits du bateau prennent un aspect organique, réel et peut être même humain pour devenir le fruit d’un artiste qu’on pourrait retrouver en “feat” sur la pochette de l’album. Ce voyage musical se fait en deux étapes : la première violente, acerbe et rude. Elle nous amarine, on est secoué sans être bousculé. On y prend goût et on se trouve des repères pour la suite du voyage. Une fois adapté, la musique se fait plus calme, on regarde le grand large et le ciel se tromper avec la mer. C’est éthéré, doux et grandiose et c’est toujours produit en “feat” avec Joseph Roty. Le bateau devient un véritable artiste jouant d’instruments inconnus comme le treuil et donne une dimension nouvelle à l’album. Difficile de résumer l’album, de l’expliquer ou de l’entrevoir sans s’appuyer sur l’aventure qui se cache derrière. Thalassa s’y est même pris et une expo photo a permis à tous de comprendre ou de visualiser ce que Molécule avait mis en œuvre pour réaliser cet album-carnet-de-bord. C’est à cette occasion que nous sommes allés le rencontrer. Retour sur image sur ce voyage.

Pour commencer de la façon la plus simple, est ce que tu peux te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore ?

Molécule, un producteur de musiques. J’ai commencé par apprendre la guitare en autodidacte avant de me tourner vers des sonorités plus électroniques. Il y a cinq ans j’ai monté le label Mille Feuilles. Il suit le choix que j’ai fait, il y a maintenant deux ans de me tourner vers des production instrumentales. Sur les précédents albums, j’ai pu faire de belles rencontres comme le Saïan Supa Crew ou Charlelie Couture et 60°43’ Nord est mon cinquième album. Une autre rencontre que je ne suis pas prêt d’oublier.

Justement, cet album ne se résume pas à une simple sortie musicale puisqu’il s’agit d’un véritable voyage. Qu’est ce qui t’a motivé ou poussé à prendre la route pour ce projet ?

J’ai des origines bretonnes entre St Malo et Cancale et depuis tout petit j’y vais tous les ans. J’ai toujours eu cette fascination pour la mer et le grand large. J’ai fait l’école des Glanants (une école de voile ndlr) donc ce n’était pas ma première expérience en mer.

Tu parles d’expérience en mer, mais celle ci était un peu plus violente. Comment s’est passé le choix ?

Oui, c’était  la première fois que je partais aussi longtemps  en mer mais j’avais envie de me confronter à la haute mer et à sa violence. Je voulais partir à l’aventure et repousser mes limites.

Comment as tu entrepris les démarches et le choix du Joseph Roty II ?

Ça fait des années que j’avais envie d’embarquer du matériel pour monter un studio et partir faire un tour du monde. Au fil des années, cette idée m’est restée en tête et a mûrie. Et finalement, j’ai pris  contact  avec  un  réseau local  pour  rencontrer  un  armateur  de  St  Malo  qui  a  été  très rapidement séduit par le projet. Les deux principales contraintes pour ce voyage était la durée de la campagne, il fallait que j’ai suffisamment de temps pour produire puisqu’une fois rentré je ne voulais rien changer. La seconde contrainte était d’aller à la rencontre des éléments pour remettre en question ma manière faire. Je ne voulais pas rencontrer une mer calme. L’armateur a été séduit et a pris un risque en m’acceptant à bord de ce bateau.

Une fois que tu savais sur quel navire tu allais embarquer, comment as-tu choisi le matériel que tu as pris avec toi ? Tu as eu des contraintes ?

Non, je n’ai pas eu de contrainte.  Le capitaine  et l’équipage  m’ont  donné une cabine dans laquelle j’ai pu installer tout mon studio et du cordage pour pouvoir tout amarrer. J’ai eu la chance de garder l’embarras du choix sur tout ce que je pouvais emmener avec moi et j’ai pris plus que ce qu’il me fallait.

“Je voulais partir à l’aventure et repousser mes limites.”

Tu as pris quoi pour concevoir cet album ?

Je suis un amoureux des synthés, j’en ai donc pris 5 avec moi dont un Minimoog, un access Virus Polar et un Prophet. J’ai aussi pris une guitare et des boites à rythmes. Pour ce qui est de l’enregistrement, j’ai pris une table de mixage et un PC pour pouvoir travailler les sons que je prenais avec les micros que j’avais pris avec moi.

molecule studio

Tu parlais de la cabine et de l’aide que l’équipage t’a donné pour t’installer mais comment s’est passé la rencontre avec les membres ?

J’ai tout de suite été accueilli chaleureusement dans l’équipe et peut être dans la famille des marins. Ils étaient contents et touchés d’accueillir quelqu’un comme moi à bord du bateau. Après, on a l’image des marins comme des gens pas forcément accueillant mais avec l’humour et les blagues, je me suis très vite rendu compte que je faisais, quelque part, partie de leur équipage.  J’ai été surnommé le trompettiste parce qu’ils pensaient que j’étais venu jouer de la trompette sur le bateau mais au fur et à mesure ils ont été curieux et venaient voir ce que je faisais.

Et, est ce que certains ont participé à la réalisation de l’album ?

Non, ils travaillent par quart de 6 heures et font 12 heures par jour donc quand ils ne travaillent pas, ils se reposent ou dorment. Au début, je ne savais pas s’il y aurait des musiciens ou même des chanteurs mais j’ai préféré travailler sur l’album de mon côté pour ne pas les déranger. Pour ce qui est des vocaux, j’ai tout naturellement oublié l’idée parce que je voulais me concentrer sur quelques choses d’instrumental  pour retranscrire au mieux l’aspect fantomatique du bateau et cette atmosphère pesante qui règne parfois sur les ponts.

Tu as pu partager avec eux des moments de musique ?

Oui, par exemple, le capitaine est un fan de rock et écoute du hard rock quant il navigue dans la tempête. C’était une scène quasi-hollywoodienne de voir ça. On a pu taper des boeufs pendants les quarts de pauses et on a enregistré un morceau avec certains membres de l’équipage. Un beau souvenir qui n’est pas sur l’album.

Dès le départ  du bateau  tu as commencé  à  composer et  enregistrer  des morceaux ? Comment s’est faite l’adaptation à la vie en mer ?

Les premiers jours, la mer était calme, trop calme, et j’avais peur qu’on ne rencontre rien de très méchant pendant les 6 semaines de campagne. Au début, j’avais vraiment la pression du résultat et je me suis dit que si ça ne se renforçait pas je n’aurai pas véritablement vécu cette expérience pour la retranscrire en musique. Après, il m’a fallu un temps pour m’amariner, j’avais énormément de mal à travailler des heures dans le studio et il fallait que je sorte sur le pont pour prendre un peu l’air.  Heureusement, le temps a vraiment tourné et on est entré dans une belle tempête. Force 11, des creux et des vagues de 10 mètres. C’est là que j’ai commencé à vivre cette expérience et à créer le carnet de bord musical que l’on retrouve sur l’album et à remplir les pages blanches avec lesquelles j’étais arrivé.

pecheur

Tu parles de vagues et de creux. Est-ce qu’il y a des jours où tu n’arrivais ou ne pouvais pas produire ?

Oui, il y a eu des moments  où le bateau bougeait  vraiment et où je ne pouvais  pas sortir. L’équipage, lui, sortait parce que c’est leur métier et qu’ils ont de l’expérience. Je n’ai pas tout le temps pu les accompagner à l’extérieur tout le temps. Le capitaine ne voulait pas prendre ce risque. Mais, encore une fois, j’ai pu compter sur eux pour sortir par gros temps avec un harnais pour pouvoir enregistrer les sons de la vie à bord.

“Le capitaine est un fan de rock et écoute du hard rock quant il navigue dans la tempête. C’était une scène quasi-hollywoodienne de voir ça.”

Et du coup, qu’est ce qui t’as le plus inspiré pour créer les morceaux ? Quels sons tu retiendrais aujourd’hui ?

J’ai fait l’album en deux temps. Le premier très violent et millimétré avec le matos que j’avais et le second plus éthéré et axé sur la retranscription du grand large. Ces deux phases reviennent sur le côté calme du voyage et son contraire nerveux avec la houle et la tempête. Du coup, pour la première partie, je me suis servi de ce que j’enregistrai en cabine pour ensuite y ajouter ce que j’enregistrais sur le bateau. Et sur la seconde partie, ce n’est que des bruits du quotidien à bord.  S’il fallait retenir des sons précis, je dirais le moteur. Il a commencé à tourner dès notre départ et ne s’est arrêté qu’à notre retour. Un gros bruit sur un rythme de quatre temps. C’est d’ailleurs son nom : ZL40 que j’ai utilisé pour nommer l’un des morceaux. Il y a aussi le vent et son impact sur la structure même du bateau. Le travail de l’acier sous les coups des vagues ou encore le bruit du treuil qui remonte  le chalut. Ça sonnait  comme  des harmoniques. Au final, au delà du  côté redondant et pas toujours facile du quotidien que l’on trouve sur un bateau, on y trouve un univers sonore très riche que j’ai pu utiliser pour ma musique.

À quel moment tu t’es dit qu’il était temps de passer au choix des morceaux qui seraient sur l’album ?

Le choix des morceaux s’est fait sur le retour. On a reçu l’ordre de prendre la route du retour. Il y en avait pour 3 jours de voyage. Une fois que tout le monde a arrêté de travaillé, je me suis mis tout naturellement à travailler sur la mise en forme de l’album et le choix des morceaux. Ça s’est fait naturellement, comme un retour sur les émotions et tous les états dans lesquels je suis passé. C’est comme ça que l’album s’est vraiment divisé en deux phases. L’une violente liée à la vie sur le bateau et l’autre plus épurée liée aux émotions que j’ai ressentie pendant le voyage.

Pour le choix du nom de l’album il y a une petite anecdote. Ça t’es venu comment  ?

L’album s’appelle 60°43’ Nord. C’est en fait la position la plus au nord à laquelle nous sommes allés pendant les 6 semaines de voyage. Le point le plus loin dans cette aventure.

Carte voyage molécule

Est ce que cette aventure va influencer la suite de ta carrière ou même ta vie ?

Totalement ! Plus jeune j’ai fait des études de sociologie et même d’anthropologie pour apprendre au mieux des autres. Il est clair que je me suis plongé dans un autre style de vie et un autre monde. Aujourd’hui, quand j’y repense, je me rends compte que ça restera et que je suis revenu plus fort humainement dans la vie de tous les jours.  Pour la musique aussi, bien évidemment, ça a changé ma vision du processus de création et je vois la musique comme un moyen de rencontrer des gens et de vivre ma vie.

On peut donc s’attendre à un nouveau projet du même genre ?

Oui, c’est  déjà à l’étude  et j’ai déjà commencé à chercher un nouveau projet pour mêler vie extrême et création musicale ou même artistique. Je ne peut pas encore dire quand ça se fera mais j’aimerai le faire en y mêlant d’autres artistes à ça parce qu’il y a une vraie influence sur la musique.

La première fois que j’ai entendu parler de ce projet, c’était  sur Thalassa. Ça fait quoi d’entendre parler de sa musique sur une émission plus tournée vers le grand large et la poésie en haute mer ? Et comment ça s’est fait ?

Ha oui. C’est assez cool de se voir dans ce genre de projet. Après pour le côté organisation, la démarche vient de mon côté. Je voulais faire plus qu’un “album”  musical. Je voulais garder une trace visuelle aussi pour partager plus avec le monde, on a donc pris contact avec Thalassa pour voir s’ils seraient intéressés et ça a été le cas. On est donc partis avec une équipe pour ramener une trace nouvelle de cette expédition.  Ce n’est pas la seule chose qu’on ait fait à ce niveau là. On a aussi pu travailler avec Radio France  sur une série documentaire de 4 épisodes sur NouvOson en son binaural. Ça donne une nouvelle dimension au projet, quelque chose de plus proche de ce que j’avais en tête au moment de partir.

Sur toute la période du voyage, quand tu y repenses aujourd’hui, est ce qu’il y a un souvenir qui t’a marqué plus que le reste ?

Je garde énormément d’images en tête aujourd’hui. Des choses simples ou des paysages. Mais s’il y a quelque chose qui m’a vraiment marqué, c’est le premier coup de vent. En partant, j’ai eu peur de ne rencontrer qu’une mer très calme et quand on a commencé à rencontrer du gros temps, j’ai vite compris que je serais servis côté tempête. Une fois qu’elle arrive sur le bateau, tout  change, l’atmosphère  se transforme et tout  prend  des allures fantomatiques.  Donc si je devais retenir une image en particulier, je parlerai surtout de la nuit pendant les tempêtes.

Est-ce que tu es resté en contact avec les membres de l’équipage aujourd’hui ? Est ce que tu vas les revoir ?

Oui, on est resté en contact.  Tous les ans, je retourne en Bretagne pas loin de St Malo et désormais j’en profite pour faire une sorte de pèlerinage sur les quais et chez l’armateur. Le lieu est chargé de souvenirs et respire, pour moi, de tous ces moments que j’ai pu passer dessus.  Je suis resté en contact avec le capitaine, on s’échange des mails assez souvent pour se donner des nouvelles et chercher des moment où l’on peut se voir.Ils viennent d’ailleurs de repartir en campagne de pêche il y a quelques jours. J’ai  pu  les revoir lorsque  l’armateur  a fêté  les 40  ans de  la compagnie  de  pèches.  C’était l’occasion parfait de tous se revoir et de fêter quelque chose.

“C’est assez cool de voir sa musique dans Thalassa.”

On peut donc parler d’un vrai lien entre toi et l’équipage ?

Ah oui, il y a un véritable lien fort qui s’est créé entre eux et moi et même avec le bateau même s’il n’est pas ou peu perceptible.  On peut presque parler d’une notion de famille, “les gens de la mer”.  L’équipage m’a marqué et je sais qu’ils  sont fiers d’avoir participé à cette aventure. C’est un moyen de parler d’eux d’une manière différente.

Qu’est ce qu’il faut attendre pour la suite de Molécule ?

Je travaille actuellement le live qui découle de 60°43’ Nord. Je ne sais pas encore quand est ce qu’il sera terminé. Sinon, il y a le livre de voyage qui revient sur le voyage et donne une dimension visuelle à cette  expérience. Il y aura également des vinyles qui sortiront  avec des édits des morceaux. Chaque vinyle sera marbré et sera donc  unique mais je n’ai pas encore de dates précises à ce sujet.

Pour finir, la question traditionnelle de Open Minded, are you open minded ?

Oui totalement, le projet répond de lui même à la question. Sans ouverture d’esprit je n’aurai pas pu faire mon projet. Que ce soit la mienne, celle de l’armateur ou même celle du capitaine. Rien n’aurai pu se faire sans eux et ce petit plus. Je le suis et j’incite tout le monde à l’être.

Molecule flip prise de son

Retour à la réalité, à la semaine et à la vie. Pas de grands voyages pour nous ou de plus petits. En arrivant tout  en bas de l’article,  je me rends compte  que j’ai  complètement  oublié  de vous souhaiter une bonne année. C’est chose faite désormais. Meilleurs vœux, bon vent et bonnes lectures. Peace !

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