De la tise dans les bars clandestins des années folles, les speakeasies et la prohibition aux États-Unis
La série Bordwalk Empire diffusée par HBO dont l’épisode pilote avait été réalisé ni plus ni moins par Martin Scorcese nous avait fait revivre l’époque de la prohibition américaine, sur fond de banditisme : les bootleggers, les gangsters et les autorités fédérales chassant les litres d’alcools dans une Amérique à deux visages. Tout le monde connait Al Capone et la section du FBI des Incorruptibles, mais les speakeasies, ces bars clandestins, repères de truands et de notables, dans lesquels la consommation d’alcool coulait à flot sont plus ou moins passés à la trappe de la culture générale.
L’État du Maine avait déjà posé les bases de la prohibition en 1851 en limitant la vente des boissons alcoolisées, il est suivi par l’Etat du Kansas en 1881. On les appelle d’ailleurs les « dry states« , les États secs (s’opposant aux « wet states« ). A partir de 1870, les femmes manifestent devant les bars et saloons pour en demander la fermeture. La raison, les hommes s’attardent au saloon après le travail où ils boivent, dépensent l’argent de la famille ou se battent, autant de raisons qui mènent leur compagne à vouloir en finir avec les ébats éthyliques de leur mari. En 1873 est créée la Woman’s Christian Temperance Union. Cette association milite d’abord pour la limitation de la consommation d’alcool, puis pour sa totale prohibition. En 1893 est fondée la Ligue Américaine Anti-Saloon.
Cette lutte anti alcool se renforce au début du siècle, l’Amérique raciste et hypocrite associe alcool avec immigration. Les irlandais et leur savoir faire en whisky dans un premier temps, puis au moment de la première guerre mondiale, les brasseurs allemands deviennent les coupables de l’alcoolisme de millions d’américains. Le Ku Klux Klan s’est d’ailleurs reformé en 1919 et comptait 100 000 membres à travers 27 États (pour info on dénombre 83 lynchages en 1919 et 61 en 1920). 1919 c’est justement la date à laquelle est promulgué le 18ème amendement qui introduit la prohibition. Complété par le Volstead Act d’octobre 1919 et le Campbell Willis Act de novembre 1921, ces mesures décrètent que les boissons qui contiennent plus d’un demi-degré d’alcool sont interdites, du coup la bière et le cidre deviennent eux aussi prohibés. Il faut rappeler qu’au début du siècle on avait beaucoup moins accès à l’eau potable que maintenant (surtout à la campagne), les gens buvaient donc de l’alcool dès le petit déjeuner (bières et vins à moindre volume) car c’était un moyen sûr de s’hydrater sans tomber malade. Enfin, ces mesures n’interdisent pas de boire de l’alcool après tout mais de le fabriquer, de le vendre, de le transporter, de l’importer et de l’exporter. Autant te dire que plus d’un ont fait la gueule, enfin bon pas tous mais on va y venir. N’oublions pas non plus qu’à cette époque le whisky était aussi un médicament contre les règles trop douloureuses et bien d’autres maux, il était donc encore accessible avec une prescription (comme au moment de la dépénalisation du cannabis médicinal dans certains États américains, on te laisse imaginer le nombre de malades imaginaires qui passèrent chez le docteur). Le vin dans le contexte de la célébration religieuse était lui aussi autorisé, amenant ainsi un nombre de nouveaux convertis assez conséquent.
L’Amérique se retrouve divisée entre les « États secs » principalement dans le Sud rural du pays des cow-boys et les « États mouillés » dans le Nord et l’Est plus urbains et plus anti-prohibitionnistes. Évidemment on sait tous et surtout chez Open Minded, que c’est pas parce qu’on interdit quelque chose que comme par magie la population va arrêter de la consommer, ainsi, en campagne, l’alcool continue d’être fabriqué illégalement et n’importe comment. Certains deviennent aveugles et d’autres se font des lésions cérébrales sérieuses si ils ne sont pas déjà morts en buvant de l’alcool frelaté. Précisons qu’en 1920, près de 5 millions d’américains sont au chômage et ne peuvent donc pas noyer leur tristesse dans un bon bourbon. Les bootleggers (comme le père de JFK) et les gangsters qui acheminent l’alcool font très vite fortune car oui, l’Amérique hypocrite a soif. La police est gangrénée par la corruption dans la majorité des grandes villes de cette époque, et ces grandes villes sont justement tenues par des grands noms du banditisme : Al Capone à Chicago ou Lucky Lucciano à New York par exemple. Pourquoi se priveraient-ils d’une si belle occasion de s’emparer d’un marché si lucratif ? Cette mesure qui devait combattre l’immoralité dans une Amérique moderne mais puritaine au contraire la renforça.
C’est ainsi qu’apparurent les speakeasies, ces bars clandestins souvent situés dans des caves ou des arrières salles. Le Club 21 et son passage souterrain situé sur la 52ème rue de New York par exemple. D’ailleurs, même le maire de la ville Jimmy Walker le fréquentait. Ces lieux de débauches vendaient de l’alcool tout à fait normalement sur fond de concerts de jazz. Le seul risque encouru était les descentes de police, qui au mieux se réglaient avec quelques billets verts, et au pire les forces de l’ordre détruisaient tous les stocks d’alcool et menaient les responsables en prison. Les alcools étaient importés des caraïbes principalement où ils étaient toujours tout à fait légaux. On dénombre d’ailleurs un nombre énorme de croisières vers Cuba, car une fois les eaux territoriales quittées, tu pouvais vaquer tranquillement à tes plaisirs éthyliques.
L’Amérique manquait considérablement de moyens pour lutter contre la contre-bande d’alcools, surtout sur un territoire aussi grand que les États-Unis. Le Krach boursier de 1929 et la Grande Dépression qui sévit jusqu’en 1932 n’arrange pas les choses. Franklin D. Roosevelt arrive en mars 1933 à la Maison Blanche et abolie quasi immédiatement la prohibition à travers le 21ème amendement (bah ouais mon gars, pas besoin de sortir d’HEC pour savoir que si tu veux redresser l’économie légalise ce que tu as interdit à la consommation et qui pourtant est consommé par la majorité).
Michel-Angelo
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