Rone : « A l’avenir, j’aimerais brouiller encore plus les pistes »

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Il est arrivé avec le discret d’une bicyclette mais a laissé la sensation d’un 33t pris en travers de la gueule. « IL » c’est Rone, un long fleuve tranquille dont il a fallu se méfier comme l’eau qui dort lors de la sortie de son deuxième album « Tohu Bohu » (en 2012). Minimal sans gauler ses productions comme un crayon, abstract ou electronica sans avoir honte de l’aimer, ce deuxième album affirme que Rone ne s’est pas bâti en un jour mais en deux LP.

Comme il se produisait samedi dernier au Trianon, on poste à nouveau notre entretien fleuve avec R(h)one.

Question con pour commencer : tout le monde t’appelle Rone (comme le « Rhône ») mais comme ton nom c’est Erwan, je me disais que ça se trouve il fallait prononcer R-one ?
Rone : alors non, en fait avec le temps c’est devenu Rone. Mais à l’origine c’était bien R.One, il y avait un point, c’était un jeu de mot et finalement c’est devenu Rone. L’anecdote rigolote c’est qu’un jour un graphiste a oublié de mettre le point sur un flyer, on m’a appelé Rone, j’aime bien, j’ai gardé.

Du coup, comme tu as signé chez Infiné, label Lyonnais, on peut se dire que tu es un gamin de là bas qui a pris le nom du fleuve…
Rone : (rire, ndlr) non non, Lyon j’ai découvert pour la première fois il y a deux ans, j’y suis retourné depuis mais je suis un vrai parigot à l’origine.

Depuis la sortie de l’album (l’interview a été réalisé dix jours après la sortie de l’album, ndlr), il y a eu de supers retours, c’est un gros soulagement j’imagine ?
Rone : oui oui oui. C’est super excitant. En même temps j’ai l’impression de planer un peu, de pas vraiment réaliser. Je me souviens quand j’ai rendu le disque après un long boulot en studio, beaucoup d’intensité même si j’ai travaillé seul, je me suis dit, ça y est c’est les vacances. Alors qu’en fait non, il y a énormément à faire mais c’est super cool, trouver des dates, des remixeurs, des gens pour faire les clips… Ça ne s’arrête jamais en fait.

Tu parles d’intensité pendant la composition, ça a été jusqu’à quel point ?
Rone : en fait ce qu’il s’est passé c’est qu’entre les deux albums, le premier et celui-là, il s’est passé pas mal de temps, quelque chose comme quatre ans et je suis passé par plusieurs étapes : la paresse, l’errance, je me suis cherché et puis je me suis installé à Berlin. Finalement, je me suis mis à bosser sur le disque concrètement et tout est allé très vite. En fait, l’album s’est fait sur trois mois.

Oui tu couvais les idées pendant trois ans et tout a évacué d’un coup.
Rone : oui c’est exactement ça. Pendant trois ans je me sentais largué, je me prenais la tête et avec le recul, je me rends compte que j’avais besoin de ce passage là pour composer.

Et Tohu-Bohu, on peut résumer ça en tant que trois ans d’exil à Berlin ?
Rone : mouais… Je dirais que c’est plus ce que je vivais en studio Tohu-Bohu. Concrètement, ça se manifeste dans mon changement de méthode de travail, en même temps je réfléchissais à ce que je voulais faire comme musique et plus je réfléchissais et moins j’en faisais. Donc j’ai décidé de faire l’inverse laisser l’inconscient et les machines parler et ça fonctionnait, il y avait tout un bordel qui jaillissait et toute la complexité a été de le maitriser pour le mettre sur disque.

Oui maitrisé c’est le mot pour qualifier l’album. Du coup, ça dépareille avec le nom du disque.
Rone : oui oui oui. Tout l’enjeu de l’album a été de contrôler ce chaos là. Tohu-Boho c’est l’étape avant que je rende cohérent tout ce gros bordel. Si tu veux, sur ce deuxième album j’ai vraiment pris conscience que je devais faire des morceaux et commencer des titres c’est une chose mais les finir c’est beaucoup plus compliqué. Donc je me retrouvais avec des morceaux très longs et puis ça manquait de cohérence. Ce qui m’a aidé c’est que je me suis dit que je pouvais les réinventer plus tard si je n’étais pas satisfait et les jouer autrement sur scène.

Justement tu parles de « retravailler pour le live » mais en écoutant l’album j’étais persuadé que le live était déjà un leitmotiv dans tes productions. Par exemple Fugu Kiss est truffé de cuts taillés pour la scène…
Rone : oui oui c’est vrai, je suis content que tu aies remarqué ça. J’avais pas pensé à ça mais c’est peut-être un truc nouveau sur l’album. Oui, j’ai passé finalement trois ans à faire du live, j’avais du mal à bosser sur l’album, je passais peu de temps en studio et du coup, la musique c’était les lives. Du coup, ça a dû jouer sur ma façon de composer sur le deuxième album. Parce qu’avant le premier je n’avais jamais fait de scène…

C’est pour ça qu’on retrouve un peu de temps réel dans cet album.
Rone : ha mais complétement. Quand j’étais un peu bloqué, c’était parce que j’étais dans la minutie et à un certain moment je me suis dit qu’il fallait laisser parler les machines, laisser le truc couler, enregistrer à la volée. Donc c’est moins un truc d’expérimentation que de l’impro où je récupère le meilleur.

Et en parlant de Berlin, justement en écoutant l’album c’est pas du tout ce à quoi on peut s’attendre de quelqu’un qui a passé trois ans à Berlin. Alors on a surement une vision super touristique de la chose, la minimale, le Berghain, Ben Klock blabla mais du coup c’est quoi la part de Berlin dans cet album.
Rone : ce que ça m’a apporté, très concrètement c’est que par exemple à Paris, j’avais du mal à trouver des studios, tout est très cher, beaucoup de problèmes d’argent, de stress… et à Berlin, je me retrouvais avec un appartement deux fois plus grand pour deux fois moins cher, j’ai trouvé un studio en une semaine, c’est un vrai premier truc. Après le truc évident dès la première fois où tu mets les pieds là-bas c’est que tout est beaucoup plus calme. Il suffit de se balader un quart d’heure dans les rues de Berlin qui sont en plus hyper vastes pour avoir une autre notion du temps et de l’espace. C’est drôle parce que ça change l’état d’esprit et j’ai senti l’impact sur ma façon de faire de la musique. Par exemple à Paris, il y avait cette nervosité, cette tension, la pression économique, quand j’allais en studio, il fallait que je compose absolument alors je m’énervais et rien ne venait. J’ai pris le rythme Berlinois très rapidement, ça m’a aidé à me canaliser et à bosser. Finalement, j’ai l’impression de moins bosser là bas mais de tirer plus. Je suis plus efficace.

Toujours sur Berlin, depuis quelques mois, on entend de plus parler d’un déclin de Berlin, les squats ferment, la SACEM locale durcie les projets, une taxe Merkel sur l’autoentreprenariat s’organise, les expatriés commencent à être vus d’un mauvais œil… Tu le vois comment toi, en tant que Français installé à Berlin ?
Rone : c’est vrai qu’il y a un changement. Ça ne fait que deux ans, dans le fond, que je suis installé à Berlin mais j’ai vu les choses évoluer dans le mauvais sens, il y a des signes alarmant comme cette histoire de GEMA (la sacem locale, ndlr). Je me souviens quand je suis arrivé à Berlin et que j’ai rencontré des Français installé là depuis dix ans, après la chute du mur, ils ne reconnaissaient plus la ville. Après, la ville est tellement grande que je pense qu’il y a beaucoup de marge entre Paris et Berlin. C’est beaucoup dans les petits détails, il y a beaucoup de mini-signes qui font flipper mais il y a encore beaucoup de marge. Chose amusante quand je me suis installé à Berlin, je faisais l’apologie de l’endroit, c’était la ville parfaite pour la créativité et finalement je me rends compte que le principal c’était pas de s’installer là bas, c’était de bouger. J’aurais pu aller ailleurs. Ce qui est intéressant c’est de se déraciner, c’est de casser sa petite routine… Là par exemple, j’ai le sentiment que je commence à m’enraciner à Berlin. J’ai encore plein de choses à découvrir mais si je me sens prisonnier d’une petite routine à Berlin, il faudra surement que je bouge ailleurs. C’est surtout le fait de bouger qui est intéressant.

Et où tu irais ?
Rone : haaaa je sais pas, j’y ai pas vraiment réfléchi, souvent je dis en rigolant que je voudrais aller encore plus à l’est, genre en Serbie (rires, ndlr). Je plaisante mais c’est vrai qu’il y a deux ans j’avais juste l’impression d’avoir trouvé la ville parfaite et je me voyais y vivre jusqu’à la fin de mes jours. Et puis en fait je me rends compte que tu as surtout besoin de ressentir ce truc super quand tu t’installes dans une nouvelle ville.

Tu avais besoin de te mettre en difficulté aussi ?
Rone : oui aussi, c’est ça. Casser un peu le confort, la routine. C’est clair.

L’album est souvent vendu comme un album de techno et je dois admettre que je ne vois pas toujours le lien. À la limite, on retrouve du Modeselektor des débuts, des titres progs comme Hazir, mais ça ne va pas plus loin. Toi tu as le sentiment de faire de la techno ?
Rone : Non pas du tout. Mais justement, j’ai vachement de mal à décrire ce que je fais. De toutes façons, j’ai vachement de mal à parler de la musique en général. Celle des autres c’est difficile alors la mienne c’est encore pire. Quand on me demande de décrire ma musique, j’ai vachement de mal à en parler. Mais je trouve ça bien qu’elle soit difficile à ranger, qu’on parle de minimale, de techno, d’éléctronica… Moi j’aimerais à l’avenir brouiller encore plus les pistes.

Tu ne veux pas rentrer dans le genre ?
Rone : non pas du tout moi j’ai pas le sentiment de faire parti d’une école ou d’un truc précis. Donc j’aimerais brouiller encore un peu.

J’ai vu que tu avais fait un mix pour Beats In Space, RA te classe régulièrement, tu as des dates à l’étranger… Il y a une carrière à l’étranger qui s’ouvre à toi non ?
Rone : en fait, ça se passe doucement, on m’a expliqué que c’était assez difficile pour les artistes français de se faire connaître à l’étranger, plus que pour les anglais, apparemment c’est des histoires de management… Après ça se débloque un peu et puis sur Twitter ou Soundcloud j’ai des messages d’un peu partout et ça c’est super cool. Et puis concrètement, il y a des dates qui se mettent en place.

Où est-ce que la musique de Rone plait beaucoup ?
Rone : bah écoute beaucoup en Allemagne, alors que finalement j’y ai pas beaucoup joué, Angleterre, Etats-Unis… Un peu partout.

Apparemment tu as eu le meilleur classement iTunes des artistes inFiné aussi.
Rone : oui oui, c’est dingue. Ça me fait super plaisir et puis ça me surprend.

Et de voir que ça fonctionne bien ça va être une certaine pression pour composer à l’avenir ?
Rone : bah ce que je répète souvent en interview c’est que je me voyais pas faire de la musique, je pensais pas que ça allait marcher. Donc là je plane complétement, je suis ravi. Mais ça amène quelques contraintes aussi. Quand j’ai fait le premier album, j’avais eu que des retours positifs ceux qui en parlait ce sont ceux que ça intéressait, les autres s’en foutent et n’en parlent pas. Tandis que là, il y a une espèce d’attente et du coup je commence à recevoir quelques critiques cassantes, j’en ai lu une l’autre jour, ça m’a crispé, j’en ai pas dormi de la nuit. Je suis encore assez sensible à ça, il faut que je me blinde. J’espère qu’un jour je serai immunisé contre ça mais j’ai compris que c’était inévitable. Mais bon plus tu es connu et plus tu as du succès et les mauvaises critiques vont avec. Je me souviens d’un truc similaire avec Nicolas Jaar : à une époque tout le monde disait que Nicolas Jaar c’était génial et puis il est devenu connu et tu as eu plein de mecs qui trouvais ça pourri. C’est arrivé pour plein d’artistes que je connais donc je me dis qu’un jour à l’autre ça peut basculer et tout le monde peut me détester donc je regarde ça avec un peu d’inquiétude. En fait la solution par rapport à ça, c’est de ne pas être trop observateur et de s’enfermer en studio à nouveau sans y prêter attention.

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J’ai vu que vous étiez assez proches avec Agoria. C’est qui pour toi ? Un proche, un modèle, un mentor ?
Rone : d’abord, je l’appelais « patron » en rigolant quand il était chez inFiné. C’est quelqu’un qui m’a donné beaucoup confiance en moi. Je le sentais sincère quand il disait qu’il aimait ma musique, c’est lui qui m’a dit tu vas faire ta première date au Rex dans un mois, il me jetait un peu de la falaise et il fallait que je me demerde et je trouvais ça super cool. Après, lorsqu’il a quitté inFiné, ce qui est assez drôle c’est que ça aurait pu s’arrêter là et finalement je dirais qu’on est presque un peu plus proche depuis. Il m’appelle régulièrement, il prend de mes nouvelles, il m’arrive de lui demander conseil mais pas sur un plan artistique, on parle assez peu musique, c’est plus sur son expérience, des questions de management, de business. Avec Seb, c’est ça, il y une entente un peu cool.

J’ai lu que lorsque tu produisais, tu n’écoutais rien, tu voulais te couper de la musique faite par d’autres. Tu crois que se couper de l’air du temps comme ça, ça aide à produire un résultat plus unique ?
Rone : oui c’est ça. Tu vois par exemple, maintenant que je suis plus dans la phase de composition, je me mets à écouter plein de musique, je vais en chercher, on va m’en donner et même involontairement, on est bombardé. Donc à un moment donné, je trouve ça hyper important de faire un espèce de désert autour de toi, un désert fertile où tu vas faire pousser des trucs, parce qu’il y a tellement de trucs que ça crée une sorte de saturation. Donc ça a du bon de créer le silence autour de toi quand tu crées. De toute manière on peut pas échapper à ses influences mais je trouve ça plus intéressant de travailler à partir d’un souvenir plutôt que en essayant de faire la même chose. Après ça me gène pas du tout de pasticher un truc que j’ai entendu. Je me souviens d’une interview de Poni Hoax, le groupe de rock, et il y a un morceau que j’aime beaucoup et je me souviens que le mec disait « c’est simple on voulait faire un tube à la Justice » et ce qui est drôle c’est qu’au final le morceau n’a rien à voir mais c’est en partant d’une espèce d’imitation qu’ils ont un fait un autre tube avec un tube qui n’a rien à voir.

Et qu’est ce que tu vas faire les prochains mois ?
Rone : je rentre à Berlin, il y a des projets de remix, de clips aussi, sur lesquels j’interviens pas vraiment. Je dois faire une musique de film pour Vladimir Kuka, le pote qui a fait les visuels de l’album. Et puis le Trianon le 16 février.

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