Orchestre philharmonique, cinéma, producteur, Jeff Mills a tout fait
– Depuis tes débuts dans les années 80, qu’est-ce qui a changé aujourd’hui par rapport aux 30 dernières années ? Comment ressens-tu l’évolution de la musique électronique et de ce milieu, du public ?
Je pense que tout a évolué de manière très intéressante. Je trouve ça fantastique que le genre évolue et continue à prendre de l’ampleur. Les changements sont et seront toujours une nécessité quelle que soit la pratique artistique. Sans ça je pense qu’il serait difficile d’arriver à convaincre les personnes extérieures au mouvement de s’y intéresser. La plupart des gens veulent du neuf, du différent, quelque chose qui n’est pas ancré, retenu ou marginalisé au point de savoir à quoi s’attendre. Evoluer, de n’importe quelle manière, est toujours le mieux qu’on puisse demander.
– As-tu constaté que la vision des personnes extérieures a changé ou ce milieu reste-t-il toujours très stigmatisé ?
C’est une question assez difficile, mais je sais qu’une partie du monde de la musique électronique est plus âgée, dans des positions d’influences et plus à même de demander du respect pour le genre. Je pense qu’on ne peut que constater la force et la longévité avec laquelle le genre a réussi à maintenir son intégrité. Je suppose que comme pour n’importe quel autre style de musique comme le Jazz, le Blues, le Rock, il faut toujours un certain temps pour que les fondations prennent et se solidifient, jusqu’au moment où l’on arrête de poser la question de l’image que l’on en a.
– Quel est ton rapport à la musique au quotidien ?
Je trouve généralement le temps d’enregistrer au moins un morceau par jour et je dois écouter une trentaine de morceaux par jour (que ce soit pour le travail ou pour le plaisir).
– Tu as eu ta première expérience avec un orchestre en 2005, pourquoi renouveler l’expérience dix ans après avec l’Orchestre National De l’Ile-De-France ?
Il y a eu quelques autres performances entre ces deux dates. Quelques représentations dans l’Ouest de la France, à Stavanger en Norvège, en Hollande et le plus récemment à Melbourne en Australie. C’est un processus continu depuis 2005. Récemment, j’ai joué avec l’Orchestre National d’Île de France à 5 reprises en région Parisienne pour leur 40ème anniversaire et ça a été une étape importante de notre collaboration. C’est la première fois que quelqu’un issu du monde de la musique électronique ait pu avoir cette opportunité et ça a été un honneur qu’on m’ait demandé de participer au projet.
– As-tu une appréhension de la scène différente ? En fonction de la musique produite mais aussi du public certainement différent du public des clubs où tu joues ?
Oui c’est différent. Pour le classique, tout est basé sur la qualité du son et trouver un bon équilibre peut-être difficile. Les salles où se produisent les orchestres ont des acoustiques spéciales qui demandent une préparation particulière. Dans les grandes salles il y a au moins 6 types d’images acoustiques qu’un public peut entendre (en fonction de la position dans la salle). En clubs (particulièrement dans les clubs Techno), la qualité du son est importante mais le volume l’est aussi. Les gens ont besoin de ressentir les fréquences.
– T’associer à un orchestre philarmonique n’est-il pas une manière aussi de vouloir rendre plus populaire ou « acceptable » du grand public la musique électronique ?
Ca dépend. Je ne dirais pas que John Cage, Steve Reich ou Philip Glass essaient de rendre leur musique grand public ou essaient de la rendre « acceptable »… de même pour Moritz Von Oswald ou Matthew Herbert. Ca fait un moment que je fais partie du monde de la musique électronique et je dirais qu’elle est nettement plus ouverte vers le grand public que la musique classique… et je suis sur que de nombreuses personnes seraient de mon avis.
– Quels sont les points communs entre musique classique et la musique électronique ?
Il y en a peu mais c’est ce qui rend ça aussi intéressant. Ce sont deux mondes distincts qui essaient de trouver un terrain d’entente. Dans cette recherche, de nouveaux chemins sont mis au jour et je ne pense pas que ça serait pareil si je collaborais avec un autre artiste Techno. Par exemple, je suis en train de composer des arrangements orchestraux pour un projet qui s’appelle «The Planets» pour un orchestre philharmonique portugais. C’est inspiré par «The Planets» de Gustav Holst (1918) et l’idée du projet est d’explorer les neuf planètes de notre système solaire. C’est exactement la même approche que Mike Banks, Robert Hood et moi-même avons entrepris en 1992 avec notre projet X-102 Discover The Rings Of Saturn. Donc bien qu’il y ait en apparence peu de choses en commun, en réalité tout est très similaire. Ce n’est pas la musique mais le message.
– Avais-tu un attrait particulier pour la musique classique avant ces multiples expériences avec des orchestres ? Peut-être un compositeur favori.
Non pas vraiment. J’avais des bases en musique classique, Mozart, Beethoven, Strauss, Hayden, Bach ainsi que quelques autres compositeurs. J’ai vraiment commencé à m’y intéresser par le biais des bandes-originales de films de science-fiction de John Williams, Hans Zimmer…
– Après la musique classique, le cinéma sur Man From Tomorrow, les images sont très esthétiques et le résultat est expérimental et philosophique. D’où t’es venue cette idée d’un film sur ta vision personnelle du futur ?
Jacqueline voulait réaliser un documentaire, mais j’ai dit non à l’idée car j’étais convaincu que ma vie de DJ n’était tout simplement pas assez intéressante. A la place, j’ai suggéré l’idée d’un film qui aurait une perspective différente, qui serait une plongée dans un monde imaginaire et une extension du type d’ambiance que l’on retrouve souvent dans le monde de la musique électronique, mais que l’on n’avait jamais vraiment pris le temps de définir.
– Comment vous êtes vous associés avec Jacqueline Caux ? As-tu eu un droit de regard sur la réalisation ?
Je connais Jacqueline depuis de nombreuses années et nous sommes toujours restés en contact. Quand j’ai déménagé à Paris, nous sommes devenus des amis proches et nous avons abordé l’idée d’un projet commun. Nous avons longtemps discuté avant même de commencer à parler de la manière dont le film serait réalisé et nous étions souvent d’accord sur de nombreux sujets reliés à la musique, à l’art, à la danse…
– Pourquoi te tourner vers le cinéma ? Il te manquait quelque chose pour t’exprimer pleinement avec simplement de la musique ?
Il y a de nombreuses années, je sentais que l’on commençait à visualiser de quoi la Techno pouvait avoir l’air. En 1999, j’ai travaillé sur le film Metropolis de Fritz Lang et j’ai depuis toujours continué dans cette optique. Depuis cette date, j’ai réalisé chacune de mes productions avec une image ou une succession d’images dans ma tête. Quelques fois le projet part même de l’image.
– Est-ce un exercice différent de faire de la musique pour des images ? En quoi le processus de création change ?
On doit tout d’abord savoir pour quoi l’on compose la musique car l’on n’écrit pas juste pour la scène, on écrit pour une histoire, pour un tout. Savoir ce qu’il est en train de se passer sur l’écran et ce que les spectateurs vont voir est crucial dans le choix d’ambiance, de notes, d’accords et d’intonations. J’ai pris l’habitude de ne pas simplement mémoriser le film, mais également de lire et d’en apprendre le plus possible sur le réalisateur ou l’auteur. Connaitre le contexte est également important. En apprendre sur la période durant laquelle le film a été réalisé joue également un rôle sur ce que l’on voit à l’écran.
– Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton nouveau projet cinématographique avec le Musée du Louvre, Life To Death And Back ? Penses-tu que la vie n’est qu’une boucle, un continuel recommencement ? Qu’en est-il de la musique ?
Nous sommes encore en phase de montage donc je ne peux pas donner trop de détails, mais le film est basé sur les thèmes de la réincarnation et le cycle de vie et de mort. La bande originale m’a demandé beaucoup de réflexion car j’avais besoin de quelque chose qui n’était pas trop moderne ou contemporain. J’ai trouvé un moyen de donner un aspect organique à la musique, à la faire sonner comme un instrument acoustique. La manière dont les notes sont jouées sur le clavier jouent un rôle important pour restituer ce côté organique, chaud, riche et émotionnellement chargé.
– Orchestre philarmonique, création pour la Fondation Vasarely, ce tout nouveau film et de nombreuses soirées avec notamment tes « Time Tunnel » dont tout le monde a parlé, d’autres projets à venir ou plutôt d’autres pistes artistiques à explorer pour Jeff Mills, le touche à tout ?
J’ai de nombreux projets et ceux qui m’attirent le plus sont ceux qui touchent aux domaines des sciences spatiales et des voyages dans l’espace car je vois des sujets comme l’astrophysique et l’ingénierie prendre de plus en plus d’ampleur dans nos vies.
– Jeff Mills, homme d’hier, de demain… Quand t’arrêteras-tu ?
La possibilité de continuer même après la fin de notre existence devient de plus en plus une réalité, au fur et à mesure que la technologie et ce de sont capables les ordinateurs se développent. Dans le futur, nous aurons des quasi-copies de nous-mêmes. Nous verrons des clones de Jimi Hendrix marcher dans la rue, Michael Jackson dans un café, Marilyn Monroe qui achète le journal. Les liftings, le botox et les liposuccions n’existeront plus, les gens exploreront les différentes facettes de la copie d’identité. Physiquement mais aussi mentalement. Je ne vois aucune raison d’arrêter, pourquoi le devrais-je ?
– Que veux-tu laisser pour plus tard ? Pour la musique et tout le reste également, que souhaites-tu que tous ceux qui verront l’œuvre Jeff Mills dans son ensemble pensent ?
J’espère laisser derrière moi l’idée qu’être différent et d’agir différemment des autres n’est jamais une mauvaise chose. Au contraire, c’est un avantage. Être ouvert d’esprit se résume à plus que l’expression créative. Et pour tous ceux qui sont intéressés par une carrière dans la musique, il est important de savoir que l’industrie de la musique ne représente qu’une partie de cet art et ne devrait pas dicter ce que l’on pense être bon.
– Quel est ton artiste préféré ?
James Brown.
– Et ton morceau préféré, celui que tu écouterais à n’importe quel moment de la journée.
Metamorphosis de Phillip Glass.
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