La musique façon Demon

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Demon 1

Demon : quand ses voyages se transforment en musique

Amateurs de musiques électroniques, je suis allée interviewé Demon à l’occasion de la sortie de son EP City, que je vous avais déjà présenté plus tôt. N’ayez pas peur de la longueur des mots, mettez vos lunettes pour ne pas décrocher car vous seriez éperdument déçu de louper ce que Jérémie Mondon a à vous dire/apprendre, ne sautez pas jusqu’à la dernière question – qui vous a aussi certainement traversé l’esprit. Avant de commencer, je vous invite à écouter sa dernière mixtape pour voir « l’univers musical et le contexte culturel ».

• Tu fais partie du mouvement de la French Touch, mouvement des années 90 qui rayonne vraiment en ce moment, vous étiez une dizaine de mecs, qu’est-ce-que ça te fait d’en faire partie ?

J’ai toujours trouvé ça cool, pour des raisons artistiques d’un côté et des raisons de business de l’autre. Artistiquement, j’ai vraiment la sensation d’en faire partie, ce n’est pas qu’une étiquette un peu hazardeuse. A l’époque, c’est vraiment via Etienne de Crécy et Alex Gopher que j’ai commencé; c’est de Crécy qui m’a prété sa table de mixage pour mon premier maxi. J’étais directement en contact avec les gens de la French Touch et c’est vraiment la musique qui m’a fait découvrir la musique électronique. J’ai découvert en premier I:Cube, Motorbass … la « early french touch » et c’est à ce moment que je me suis dit que j’avais envie de faire ça ! Et puis on se connait tous, je trouve pas que ce soit une scène homogène, pas du tout, et c’est ça qui est cool parce que ce n’est pas une classification musicale, c’est un truc culturel. Ca englobe des artistes super différents. Pendant un moment, il y avait l’image très disco filtrée de la French Touch, mais je pense que tout le monde est passé à autre chose; même à l’époque ce n’était déjà pas vraiment de la disco filtrée parce qu’il y avait Air, Mr Oizo entre autres !

• Comment tu les as rencontrés ?

Dans pleins d’occasions différentes, dans des soirées, via des potes … Paris c’est vite tout petit ! En plus, Mr Oizo était mon voisin quand j’habitais dans le 14ème. Tout simplement.

• Comment tu peux définir ce mouvement autrement que par « touche française », comme on peut lire un peu partout ?

Je vais revenir sur l’ecléctisme du genre et le fait que ce soit de la musique électronique mais qu’aucun de ces groupes là ne sonnent comme le cliché de la musique électronique. Un bon groupe de reggae, c’est un groupe qui fait du reggae comme tu peux te l’imaginer, tu peux savoir comment le son sera constuit etc .. Alors qu’un bon groupe de French Touch, c’est un groupe qui va te surprendre parce que tu n’avais aucune idée de ce qu’ils allaient te proposer. Tous les groupes qui marchent bien c’est parce qu’il y avait un vrai renouveau, tu peux être surpris que ce soit ça qui ait marché ! Ils font de la musique qui est super personelle à chaque fois, mais qui arrive quand même à toucher le grand public. Je trouve ça hyper valorisant, plutôt que la scène house mondiale qui a des millions de djs qui balancent des tracks pour être joués par d’autres djs après, qui cherchent l’uniformisation. Les français à côté sont des petits rebels, ils essayent de faire un truc différent !

• Tu penses quoi de la French Touch 2.0 ?

Je pense qu’on l’a passée depuis longtemps, on doit en être à la 3 ou 4 maintenant. La 2.0 c’était Justice, par exemple. Il y avait vraiment un son commun, entre tous les artiste d’Ed Banger et Institubes, c’était super homogène, peut-être comme Alex Gopher, de Crécy et moi alors que maintenant … Enfin, avec un peu de recul on se dira sûrement que c’était homogène aussi! Il y a des trucs qui me touchent plus ou moins, mais c’est toujours excitant de savoir où ça va, de voir des groupes qui ne font pas de la musique commerciale mais qui arrivent à buzzer.

• La manière de produire de la musique a-t-elle changée en 2013 ? Qu’est-ce-qui est mieux, moins bien, différent ?

Oui, elle a bien changé. Tout à l’air mieux comme ça, le principe de pouvoir faire de la musique sans argent, avec seulement un ordi, je suis pour, j’ai toujours été pour et j’aurais adoré avec cette chance à 14-15 ans ! A l’époque, un sampler c’était 10 000 francs donc 1500€ et à 15 ans c’est inaccessible, donc chaque cadeau, chaque pièce allait dans une petite caisse pour en acheter. Je rêvais de ça, je lisais des magasines qui parlaient de ça … Aujourd’hui, si tu te décides à faire de la musique électronique, tu peux te lever un matin, aller sur Youtube, taper « how to make electronic music » et c’est bon. Tu peux apprendre la ligne de bass de Skrillex de la même manière et en 24h être un musicien de musique électronique ! Ca a aussi quelques défauts. Le son notamment; pour faire sonner correctement sur un ordi c’est pas du tout évident ! Là on vient de se taper une décennie de musique électronique qui dont le son aveilli à mort, tu vois la French Touch « intermédiaire » 2.0, maintenant le son n’est pas génial, c’est super écrasé. On appelait ça de la musique pour blog à l’époque, parce que si tu le mets sur ton laptop ça sonne très bien, mais dès que tu le mets en club, c’est tout plat. Nous on avait pas le choix, on avait que du matos dit « vintage » maintenant qui avait un son de fou ! J’avais un sampler Emu, ça avait un son d’enfer, maintenant il faut bosser beaucoup pour retrouver cette sensation. Là, du coup, il y a plein de mecs qui rachètent du vieux matos, alors que nous on avait un bon son de manière un peu naïve et je pense que c’était ça la force des débuts de la French Touch. On savait pas trop où on allait mais c’était super vivant. Les nouveaux de ce mouvement ont pas mal de maitrise, de maturité, parfois de cynisme, mais un mec de 20 ans comme ça, c’est moins fun que le petit naïf. Eux gèrent leur marketing, ils sont auteurs, producteurs … Je ne critique personne, mais ça entraine à beaucoup calculer alors que la musique moins il y a de calcul, moins elle vieillit en général.

• Comment ce nouvel environnement musical à transformé ta musique ?

Sur les premiers albums, il y avait vraiment une façon de faire de la musique. Je faisais tout avec un sampler, c’était un instrument alors que maintenant je mélange plein de techniques différentes, il y a du synthé, des prises de droite à gauche, de la guitare … C’est comme si j’avais toutes les sources de son à portée de main, du coup c’est encore plus dur de faire des choix ! Mais en même temps, la composition est plus complexe et je peux être encore plus personel dans ce que je fais, en sachant que je peux tout faire. La galère c’est toujours de retrouver un son chaud, dynamique et sympa et qui claque en boîte. Ce n’est pas le côté club qui m’interesse mais le côté gros son, je veux que ce soit profond et qu’il y ait un truc qui se passe physiquement avec le son; je suis assez maniaque !

• Parle moi de Luanda City Beats.

C’est un son très électro, avec le synthé qui grince, c’est le seul morceau qui est comme ça sur l’album. La raison pour laquelle j’ai fait ça est purement artistique, c’est que la ville dont je parle dans le morceau, Luanda, est comme ça. C’est une grosse machine industrielle, poussièreuse et un peu oprésente, c’est une ville particulière à mi chemin entre l’Afrique pauvre et la skyline de Miami. C’est une autre énergie, un rugissement de ville qui m’a inspiré. Pour ce morceau là, c’est super important de voir le clip en même temps, car sans il a pas la même valeur. La vidéo appuie le côté hyper sincère, presque de l’autobiographie. C’est ce que j’aime dans la musique instrumentale, c’est que tu peux y voir plein de choses, mais en même temps, il y a des messages, peut-être abstraits mais les groupes qui m’inspirent ne sont pas ceux qui me donnent de l’énergie ou de la danse mais de la poésie. Le mélange des deux, c’est le truc ultime !

• Tu peux me faire un top 3 des labels du moment ?

C’est toujours dur dans la tête d’un dj de faire des listes, surtout qu’on pense plus en tracks qu’en artistes. Il y a des gens que j’adore, mais en électro ce sont vraiment des tracks, parfois tu vas préférer un remix à l’original. C’est très dur de dégagé un ou deux noms, en restant fidèle à ses propres goûts. Pour les labels, j’ai du mal aussi. Il y a des labels récurrents, mais je n’aime pas tout globalement. Il y a des sons sur le label de Boys Noize que j’adore, mais c’est rarement le genre de son que les gens s’attendent à entendre venant de Boys Noize Recordings alors qu’ils ont une production hyper riche.

• Tu penses que la musique électronique tourne en rond ?

C’est une machine le clubbing; si tu réfléchis un peu à ce que c’est et à ce qui fait marcher ce business, tu vas te rendre compte que c’est le whisky-coca qui fait qu’on existe et qu’on gagne notre vie, que des tas de gens organisent des soirées. De ça découlent les djs, qui doivent eux préparer des sets et inclurent des morceaux faits pour les djs parce que c’est plus évident et que les gens seront plus aptes à consommer du whisky-coca. Tu peux ramener ta personnalité et ta sensibilité, en jouant avec les codes, en les respectant et en les cassant parfois, sans te faire jeter par le patron ! En faisant en sorte de faire danser les gens et peut-être qu’une poignée d’entre eux auront un coup de foudre pour ta musique. L’enjeu est de décaler l’univers du clubbing vers l’artistique mais tous les clubs ne te le permettent pas. Aujourd’hui aussi, les djs sont d’abord producteurs avant d’être des djs, donc ils sont plus incarnés et peuvent se permettrent plus de choses que des résidents en boîte de provinces où c’est vraiment le nombre de whisky vendus qui compte.

Demon 2

• Pourquoi avoir laissé autant de temps passer avant de ressortir un projet ?

J’avais envie de faire pleins de trucs autres aux niveau professionel, de m’ouvrir un peu. J’ai produis des trucs pour d’autres artistes, pour des rappeurs, des musiques de film, des trucs comme ça. Mais j’ai toujours bossé sur mon projet perso. J’avais commencé un album il y a 5 ou 6 ans, je l’avais presque fini mais ça ne me plaisait pas. Je me suis réveillé un matin, je ne me reconnaissais pas dedans et je ne me sentais pas de sortir ça. Ce n’était pas mauvais, ça plaisait à certains interlocuteurs que j’avais, mais je ne me sentais pas de défendre ça corps et âme pendant les 3 années à venir, comme tu fais sur un album. Il faut assumer ce que tu fais, parce que ça te colle à la peau. J’avais envie de faire un truc plus sincère, où j’étais plus moi-même, donc j’ai tout recommencé. J’ai vécu des trucs sympas qui m’ont aidé à faire un truc plus spontané, plus artistique. Ayant un label indépendant, on a la tête dans le business, des choses chiantes donc ça t’influence un peu dans ta manière de faire de la musique dans le sens où tu crées un produit. On a plus ce que j’avais à 20 ans, où la maison de disques c’était comme ma mère qui me disait de ranger ma chambre et je disais « non je m’en fou je vais triper » ! C’était super sain. Quand c’est toi la maison de disque t’es toi-même entrain de douter et de t’auto censurer… ce ne sont pas des problématiques que sont censés avoir les artistes. Le public aime l’idée que l’artiste soit libre, qu’il exprime des trucs que lui justement ne peu pas faire car il doit aller au taff. Ceci-dit, aujourd’hui on est loin de l’image des artistes des années 70 quand les mecs faisaient leur trip n’importe où, faisaient n’importe quoi. Tu rêvais sur leurs vies, il y avait des bouquins sur leur vies. Maintenant, il faut faire son auto promo, savoir utilisé les réseaux sociaux et demander des likes. Il n’y aura pas de bouquins sur les mecs qui passent leur journée derrière twitter ! C’est pas romantique en fait.

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•  Qu’est ce que tu fais de tes influences hip-hop ?

C’est ce qui m’a formé musicalement dans le début de l’adolescence. Au moment où je me suis dis que je voulais faire de la musique, même si dès petit j’ai toujours aimé la musique sans raison particulière, j’avais envie de faire ça à l’époque de Jean-Michel Jarre. Mais je n’avais pas une passion musicale, c’est juste que j’avais envie d’avoir des synthés et pleins de trucs comme ça. Après j’ai découvert le rap et j’ai vraiment accroché. Comme je te disais, j’ai sorti des prods pour des rappeurs, le premier c’était pour le groupe Symbiose en 97, en même temps que mon album, donc je n’ai pas vraiment commencé par le rap, j’ai fait les deux en même temps.  J’aime bien, mais je n’ai jamais trop cherché à développer ce truc là, ce sont des rencontres qui ont fait que j’ai bosser avec ces gens là.  C’est chiant de faire des instru hip-hop tout seul quand t’as pas les paroles, c’est pas très tripant. Quand tu connais bien les mecs qui te demandent des instru, t’arrive à te représenter comment ils peuvent raper dessus, ce que t’aimerais ce qu’ils fassent, ça c’est cool.


• Quelle est la principale différence dans la création de prods de rap et de musique électronique ?

Je me mets dans une autre posture. Quand je fais de l’électro, j’essaie de pousser mon art au maximum, limite faire des trucs qui pourraient surprendre un autre producteur, essayer d’être un peu un magicien, c’est ton son et chaque petite partie vient de toi. Alors que pour le rap, c’est hyper spontané, en une heure tu peux faire une super instru. Si ça fait trois jours que t’es dessus c’est que c’est mauvais.. Le rap ça doit être cru, ça doit être rap quoi. C’est un autre exercice de style que j’aime bien. J’ai jamais aimé le rap hyper arrangé avec violons et tout … Une batterie, un synthé et c’est tout. Pas de pont pas de refrain, ce sont les mecs qui font que tu ne t’emmerdes pas. C’est ce que j’ai fait pour Booba et 133 dans le morceau « On sait l’faire ».  J’ai eu un super projet aussi pour Canal, à la base ça devait être une série de trois épisodes et ils en ont fait un long métrage, « De l’encre ». C’est l’histoire d’une jeune nana rapeuse et son pote producteur de beat, qui essayent de percer. J’étais libre de faire ce que je voulais. Ils m’ont passé le film, sans musique et ils m’ont dit « Vas-y, éclate toi ». On se connait super bien, on est potes, je leur faisais écouter au fur et à mesure et c’était mortel. J’avais vraiment l’impression de faire du cinéma. C’était hyper intéressant, de faire des sons un peu cru, un peu amateur pour que ça aille avec l’histoire et puis je me suis un peu reconnu dedans.

 

• Comment tu arrives à mettre en relation le son et l’image en musique électronique ? En quoi c’est important ?

Dans certains cas, c’est juste une proposition spontanée. C’est du cas par cas. Le clip avec le danseur, Happy Therapy remixé par Ari, j’ai eu le flash en entendant le morceau donc je l’ai co-réalisé avec un pote réalisateur et je connaissais le danseur (NB. mec qui a gagné Incroyable Talent). J’ai pas mal de potes réalisateurs, donc soit je discute avec eux jusqu’à ce qu’on me donne une bonne idée, soit j’ai l’idée spontanée. Pour Lunda City Beats, j’avais envie de faire le clip et j’ai rencontré des réal là-bas; on a trouvé l’histoire ensemble, qui était un peu inspirée d’un truc qui m’était vraiment arrivé au Cameroun où je devais aller mixer et personne n’est venu me chercher à l’aéroport donc j’ai du me débrouiller par moi-même.  C’est important pour rappeler que ce n’est pas de la musique de dj, mais qu’il y a un univers dans lequel tu peux voyager, c’est le côté artistique. Même dans le parcours personnel d’un artiste c’est important: le réfléchir, être sur le tournage, avoir des idées, trouver les mecs qui le font… J’adore. La musique sans l’image c’est moins fun, c’est un peu abstrait. Pour cet EP, je ne savais pas trop où j’allais et sur la base de la maquette faite par H5 (la pochette avec l’oeil), j’ai trouvé ça mortel et à partir de là je savais comment j’allais tout construire musicalement. Pareil pour Midnight Funk mon premier album. Tu sais réellement ce que tu fais le jour où tu as ta pochette, tu peux imaginer la sensation que ça fait de découvrir ça sur le net ou de l’acheter.

• Qu’elle est l’idée qui a entrainé la création du clip You Are My High ? Vous saviez que ça allait donner ça ?

Ca vient d’une réunion entre potes du label. On se demandait ce qu’on allait faire pour ce morceau qui commençait à carrément marché. On avait une photo d’un baiser dans les locaux du label, le producteur regardait le mur et fait « OH! c’est ça le clip ». Ce qu’on voulait c’était faire un truc ovni et je suis content parce qu’on a hyper bien fait. L’idée du baiser elle était pas dure à trouver, même si on a été les premiers, mais le faire de manière à ce qu’il ne vieillisse pas, on s’en est très bien sorti. On aurait pu très vite rentrer dans le kitsch avec cette idée. C’était pas mal parce que chacun avait sa version, plein de monde pensait que c’était deux mecs, ou deux nanas, ça a crée un sacré truc. Et on a eu le droit à tout : la polémique, la censure qui a été levée après … Quand le clip est sorti, il a été retiré dans la journée parce qu’il y avait eu des plaintes et ensuite il y a eu une comission au CSA où ils ont décrété qu’il n’y avait finalement aucune raison de censurer ce clip et il a été remis juste après. Pour nous, c’est la meilleure chose qui ait pu nous arriver pour la promo ! On ne la trouve plus trop sur Youtube, il y a eu des plaintes vers 2008 donc ils l’ont retiré. Tu peux voir des gens dans des accidents de voitures, des gens faire n’importe quoi, boire un litre de vodka cul sec mais un baiser non, il faut que tu prouves que tu as 18 ans pour la regarder !!  En additionant toutes les fois où il a été posté en 2005, j’avais calculé, il a été vu plus de 14 millions de fois  !

• Es-tu open minded ?

Oui, oui, oui. Je pense.

Le 11 Janvier au Wanderlust.

Ep toujours dispo sur Itunes et sa page Facebook

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