En Russie, les groupes de la mort encouragent la jeunesse au suicide

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Alain Tchedje

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Sur VKontakt, le réseau social de Russie, des groupes comme F57 incitent les adolescents à se suicider.

Le 16 mai 2016, un journal quotidien russe a fait remonter à la surface un problème majeur en ex-URSS : le suicide chez les jeunes. Novaïa Gazeta venait de publier une très grosse enquête menée par la journaliste Galina Mursalieva à Riazan, une ville située à 200 kilomètres de Moscou, à la suite du suicide d’Elia, âgée de 12 ans. Le même jour, trois autres adolescentes se jettent de la fenêtre d’un immeuble et trouvent la mort. Étrange coïncidence, car les jeunes filles faisaient toutes partie du même groupe privé F57 sur VKontakt (équivalent de Facebook en Russie).

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Sur de nombreux profils de jeunes, on retrouve la baleine, symbole de la mort pour eux.

Au cours de son enquête, Galina Mursalieva dénombre environ 130 jeunes victimes de ces groupes surnommés les « groupes de la mort », entre novembre 2015 et avril 2016. Si l’article publié par le quotidien russe a fait du remue-ménage, c’est car le suicide des jeunes est un problème qui ne date pas d’hier, et auquel le gouvernement ne cherche pas réellement de solution. Dans les grandes villes, des spécialistes sont là pour aider ces adolescents pour qui l’avenir est terne, mais dès que l’on s’en éloigne, c’est à eux-mêmes qu’ils sont livrés. Dès lors, les groupes sur les réseaux sociaux sont perçus comme des espaces de réunion où l’on se sent moins seul, soutenu, et compris. Ce serait pourtant à cause de ces groupes, comme F57 et La Mer des baleines (qui n’existent plus) que les adolescents en mal d’espoir se suicideraient.

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Photos postées par Rina Palenkova la veille de son suicide. Agée de 16 ans, elle s’est allongée sur une voie ferrée.

Les groupes secrets et privés sur VKontakt desquels faisaient partie les adolescentes décédées ont des « modalités » d’accès très précises, et parfois difficiles à remplir. Dans l’article relatant l’enquête menée par la journaliste russe, on peut lire sa rencontre avec la mère d’Elia, 12 ans, qui s’était donné pour mission de retracer tout le chemin parcouru par sa fille avant sa mort. Ainsi, elle parvient à entrer dans le groupe F57 très privé, où on lui demande de cliquer sur un lien si elle se reconnaît dans ces phrases : Ton mec t’a larguée ? T’en as marre du collège ? Si oui, elle est invitée à cliquer sur Obscurité, qui la dirige vers un autre groupe appelé « En Nike mortes« . On lui demande de confirmer qu’elle est bien âgée de plus de 18 ans, sans pour autant devoir montrer patte blanche et se justifier.

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Ce sigle, signifiant ONO, est un des symboles des groupes secrets appelant au suicide.

La prochaine étape de « sélection » est un peu plus violente… La mère se faisant passer pour une adolescente doit envoyer ses dessins ou récits en l’honneur de la mort signés « Nya.Ciao » (Nya signifie Bye en langage courant). Ce sont ses cicatrices et autres entailles qu’elle doit partager dans l’album sur VKontakt intitulé « Vos entailles/cicatrices« . Si jusqu’ici, tout se passe bien, elle aura un entretien Skype avec les administrateurs afin de valider définitivement son entrée dans le groupe F57. Ce que la mère ne pourra malheureusement pas effectuer, devant dévoiler son réel visage. Voici un extrait de ce qu’elle a pu lire lors de ses échanges avec d’autres personnes participants à cet examen de la mort, au sein de conférence (conversation de groupe sur VKontakt) :

Nous sommes face à la capture d’écran de la page F57 Nous voyons tout. Nous lisons : « Pour n’importe quel comportement inadéquat, vous disparaîtrez d’ici. Vous avez seulement six jours. Vous devez trouver la clé pour le dernier jour. Jour premier. Dans 144 heures, tout sera terminé, pour vous, comme pour tous les autres. La Lune est pleine. Il ne reste que quelques jours. Les cieux descendront sur la Terre. A-n-t-a-n-u-m… » Ensuite, nous voyons une image montrant un animal blessé au couteau, qui perd du sang, puis la suite du texte : « Le suicide n’est qu’un début. Nous avions besoin de son corps comme réceptacle pour l’un d’entre nous. Dans six jours, quand la Lune se lèvera, il arrivera la même chose à tous. Non. Votre suicide provoquera seulement la reconstitution de nos rangs…»

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Selfie d’une des jeunes filles s’étant jetée par la fenêtre.
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Poème retrouvé sur les murs de l’immeuble duquel s’est jeté une des adolescentes. Celui-ci parle de baleines, et de mort.

Ces groupes sont comme une sorte de jeu grandeur nature, où les administrateurs s’amuseraient à défier les volontaires jeunes et influençables, pour les pousser jusqu’à la mort. Les adolescents doivent résoudre des énigmes, traduire des langages codés, se mettre en scène, jusqu’au jour où lorsqu’ils seront acceptés dans le groupe, on leur attribuera un numéro, ainsi qu’un jour, une heure, et une façon de mourir. Un peu à la Death Note, mais en vrai. Sur la plupart des groupes de la mort, on retrouve des poèmes mélancoliques et romantiques, des images de baleines et de papillons. Les baleines, car selon une légende, elles iraient s’échouer sur une plage pour mourir; tandis que les papillons ne vivent que peu de temps. Ces symboles ont été retrouvés sur de nombreux profils d’adolescents inscrits dans les groupes de la mort. Et lorsqu’une personne est acceptée dans le groupe, on lui attribue un numéro à la suite du surnom Baleine. Comme par exemple Baleine n°34.

Selon la journaliste du quotidien russe, c’est un garçon de 21 ans qui serait à l’origine de ces groupes de la mort. Philipp Liss serait l’administrateur de F57, et s’en servirait seulement pour faire la promotion des morceaux de musique qu’il mixe, en en profitant pour gagner un peu de sous avec les publicités générées par VKontakt. Pourtant, il s’est mis de nombreuses fois en scène, à l’article de la mort, incitant donc d’autres plus faibles que lui à passer à l’acte pour de bon. De la même manière, d’autres membres du groupe seraient présent simplement pour inciter et enrôler les adolescents à mourir.

Bien que l’agence fédérale des communications en Russie, la Roskomnadzor, aie fermé des milliers de pages et groupes appelant au suicide, ceux-là rouvrent sous un autre nom aussi vite qu’ils ont été fermés. Évidemment, les motivations des personnes à l’origine de ce type de groupes sont incompréhensibles et inexcusables. Cependant, il est tout aussi grave de constater que la Russie ne cherche pas forcément à résoudre les problèmes d’une jeunesse en chute libre, pour qui l’avenir n’existe pas dans un pays où il devient de plus en plus difficile d’être heureux. D’une autre manière, la mise en scène de soi-même sur les réseaux sociaux, comme on peut le voir avec ces jeunes filles, ou encore plus proche de nous, sur Periscope, est un fait alarmant de l’utilisation des réseaux sociaux par ces jeunes.

Sources
Tryangle.fr
Lecourrierderussie.com

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