« Moi je me réveille DOUR, je me couche DOUR, je vis DOUR »
Open Minded a rencontré le co-programmateur du DOUR, Mathieu Fonsny. Nous avons parlé des premières éditions, des choix musicaux, de son travail et…de frites belges.
En 1989, le premier festival en Belgique francophone – le Dour- se crée par un groupe de jeunes : réunissant 8 groupes sur une scène. 28 ans plus tard, il rassemble plus de 200 artistes sur 5 scènes pour près de 190 000 festivaliers fidèles et passionnés.
Si vous deviez résumer l’évolution du Dour en 3 dates/éditions clés, qu’elles seraient-elles ?
Je me rappelle plus de la date mais je dirais le moment où on a voulu mettre du Hip Hop dans la programmation alors que tout le monde voulait rester très cloisonné et sectaire. Carlo – notre directeur et l’initiateur du projet – disait « Je veux faire de la Soul » et tout le monde nous disait « mais les gars vous faîtes quoi? On veut du rock, nous » et c’est ça qui a commencé à ouvrir le public vers d’autres choses.
Je me rappelle d’une édition où on avait dit aux mecs du Fuse – c’est le Berghain de chez nous- de faire un dancefloor chez nous à Dour, je pense que c’était en 97. C’était nouveau d’avoir un festival rock qui jouait la nuit avec Kenny Larkin, Carl Craig et les autres. C’est là aussi qu’on a de nouveau cassé des frontières dans la tête des gens.
Et en 3, je dirais peut être l’année dernière. Parce que nous avons fait un record d’influence et qu’on a encore passé un échelon avec près de 195 000 personnes. Mais, notre but n’est pas d’attirer les foules avec de grosses locomotives, on n’a pas besoin de ça. Je pense que la plus grosse tête d’affiche de notre festival c’est notre festival en lui-même. C’est les milliers de gens qui se rencontrent qui partagent ensemble. On est à contre-courant du modèle qui est de faire de « la course à la tête d’affiche » pour attirer du monde.
On a des gros noms, on préfère rester les pieds sur terre. On a créé un esprit, où les gens se retrouvent, où il y a du rock, du reggae, de l’électro, du hip hop, du rap et des musiques délirantes et les gens s’y retrouvent parce que ça s’est fait avec le temps. Aujourd’hui, le public vient surtout pour découvrir, se perdre et entendre des sons qu’ils n’auraient peut- être jamais entendu avant.
C’est quoi tes sources d’inspiration en tant que Programmateur ?
Un mélange de mes rencontres, de ce que j’ai vu, entendu, des voyages, de ce que le public attend, je me nourris de plein de choses, je lis des magazines, je vais à des concerts et puis après on fait un équilibre entre les styles des groupes leur influence, leur importance et on tente de mettre toutes les pièces ensemble pour que ça donne quelque chose.
Locomotive artistique pour faire découvrir des groupes que personnes ne connait : on avait fait Tonight avec Flume. Il y a eu quelques coups qui étaient plutôt bien joués ce qui a fait qu’on nous a pu nous considérer comme des « dénicheurs ». 1+1 = 3 alors voilà on n’a pas MUSE en gros sur l’affiche mais en fait tous les groupes mit bout à bout ça fait une très grosse tête d’affiche.
Les festivals se concentrent sur un style, vous êtes à l’extrême opposé. Est-ce qu’on peut dire que c’est votre signature ?
Je ne sais pas, ce n’est pas calculé. Chaque mois de septembre on démarre sur une feuille blanche : cette année on n’a pas de dubstep mais on a d’autres styles hybrides. Disons qu’on n’a pas de tout mais on a beaucoup de choses, les trucs trop sectaires et trop ghettoïsés, même s’ils sont extrêmement importants, ils restent à l’opposé de ce que l’on veut faire. Nous on veut rassembler les gens sur un même dancefloor. Ce n’est pas notre signature, mais c’est notre vecteur et c’est ce qui nous motive. On ne veut surtout pas de barrière, c’est une festival alternatif au sens large.
Qu’est ce qui caractérise votre public ?
Des gens sensiblement similaires qui viennent des 4 coins de l’Europe et qui pendant 5 jours s’arrêtent et vivent ensemble. C’est comme une communauté, ce sont des frères, ils ont un cri de guerre pendant le festival et même après et c’est un genre de famille ou on a réussi à créer un lieu pour qu’ils se retrouvent. Ces mecs viennent camper 5 jours ensemble, ils vivent le festival. Retrouver les gens qui sont semblables à eux. Ce n’est pas juste voir Nas ou Snoop Dog cette année.
C’est un truc global, le public n’a pas forcément envie d’avoir que des têtes d’affiche, on lui fait découvrir des artistes, des styles, et il est chaque année très curieux et hétéroclite.
La canibal stage par exemple, c’est pour les rockeurs un peu dur, et puis finalement il y a plein de personnes qui viennent juste pour ça et qui n’y vont pas, parce qu’ils se sont arrêté devant d’autres scènes, ils ont découvert des artistes. C’est un vecteur de curiosité et de découverte.
Le dour privilégie le show /Dans l’univers actuel où tout se mode et se démode. N’est-ce pas risqué parfois ?
On a réussi à créer un modèle qui n’a plus besoin – on peut bien sur faire une moins bonne année parce que en face il y avait quelque chose de nouveau ou que la météo était mauvaise – mais je pense qu’on a réussi à référé des gens qui viennent les yeux germés pour rester quelques jours ensemble. Moi je n’ai pas très peur de ça.
Malgré la taille du DOUR vous parlez quand même de concurrence.
Moi je dors et je vis DOUR je transpose tout pour le DOUR je me nourris de tout ça pour ce qui pourrait être bénéfique à notre communauté et à notre festival. On a remarqué quand on analyse les ventes, le public est de plus en plus jeune. Il y a bien sur des gens qui s’en vont mais en fait les grands frères disent d’aller au DOUR au petit frère. C’est presque une histoire de famille donc je pense qu’on a réussi à créer un rendez-vous.
Un objectif sur le long terme ne pourrait-il pas programmer des groupes encore moins connus mais à l’énergie et au show unique ?
On le fait déjà un peu. Mais on s’est rendu compte l’année passée que notre plus petit chapiteau faisait 6 000 places ça veut dire qu’on envoyait à midi un mec ou un groupe émergeant jouer devant un chapiteau un peu trop grand.
Donc cette année on a créé le LABO c’est à peu près 1 500 places, c’est notre laboratoire on va faire une journée que belge, une nuit avec Mars Attack, une journée World 2.0 où il y aura Batida, clap clap, des groupes hyper avant-gardistes avec une réflexion sur la musique du monde, une journée garage etc… C’est une expérimentation nouvelle pour nous.
On va aussi faire jouer un groupe qui s’appelle La Smala – nouveau souffle dans le hip hop belge – ils vont jouer devant 25 000 personnes. Quand on leur a proposé ils nous disaient « nous on joue que dans des festivals très restreints ou très généralistes mais on joue à 15 heures et là vous nous mettez à la place de Nas l’année passée ». Eux ils étaient hallucinés, mais nous on a eu envie de croire en eux.
Niveau techno on a Mike Bank avec Underground résistance – le mec qui ne bouge jamais de Détroit– il jouera avec Carl Craig et on ne pensait pas qu’ils allaient accepter et finalement ils ont dit oui. Ca risque d’être encore un show unique.
Dans la tête des gens être programmateur, c’est génial. Il y a des avantages mais il y a des inconvénients – et des gros inconvénients. Pour toi c’est quoi les avantages et les désavantages ?
Effectivement c’est un mix de beaucoup de choses, y’a pire comme boulot. Les avantages c’est de voyager, voir des concerts aux 4 coins du monde après c’est un travail sociologique aussi. Je fais ça depuis 10 ans maintenant, j’ai un certain réseau et plusieurs amitiés avec les allemands, les anglais, les belges bien sûr c’est comme dans n’importe quel métier, tu dois faire tes armes et acquérir la confiance des gens.
La qualité la plus importante pour un programmateur ?
Trouver aujourd’hui ce qui marchera demain.
Un souvenir marquant d’une édition du DOUR ?
2002 : Il y avait 2 Many Djs, c’était un de leurs premiers festivals, ils s’appelaient encore « Flying Dewaele Brothers » c’était prévu sous un chapiteau, et on a senti le buzz monter dans le camping tout le monde en parlait, donc en dernière minute on a décidé de le programmer sur la grosse scène. Ça a explosé, on a battu notre record d’influence, t’imagines, à l’époque c’était un DJ sur une grande scène on aurait presque pu figurer dans le Guiness book.
Sinon, autre souvenir marquant c’est la première année ou le Wu tang était au complet, et ils nous avaient demandé du Dom Pérignon – à 300 balles la bouteille – sauf qu’on est à Dour, qu’on est dans une ville où personne ne sait ce que c’est donc il n’y en a pas. On décide d’envoyer un stagiaire pour chercher 3 bouteilles de Dom à Lille. Et là ils arrivent sur scène et « pshhhhh » ils envoient les 3 bouteilles sur le public. L’année d’après on a un peu fait les cons on a acheté 3 bouteilles de piquettes et on a changé les étiquettes. Heureusement ils ont fait la même que l’année d’avant c’est-à-dire qu’ils ont arrosé tout le public, heureusement qu’ils ne l’ont pas bu !
Cette année, s’il y a avait un artiste que tu raterais pour rien au monde ?
Je défends toute la programmation.
Mais je dirais que je suis assez fière de Skepta, c’est chez nous qu’il est venu alors qu’il aurait certainement pu aller ailleurs. Même s’il est là depuis un moment, je pense que c’est aussi un coup d’avance sur ce qu’il va se passer, lui c’est l’artiste hip hop des années à venir, ça va être gros. Il est déjà fort, même s’ils sont là depuis très longtemps je dirai que Skepta c’est son année. Je suis aussi très content d’avoir Mark Ronson.
S’il y avait quelque chose à améliorer pour le Dour de demain ?
Moi je ne m’y retrouve pas trop dans la bouffe qu’il y a à Dour mais c’est peut-être parce que j’en ai marre des frites – je suis belge. Je trouve qu’on est plutôt bien, le festival est de plus en plus convivial, c’est vrai qu’on a eu cette lacune au niveau du fait qu’il soit confortable, et là on a redressé le tire, on a fait de gros efforts pour que les gens se sentent bien.
Y’a le bar du petit bois un peu secret pour 200 personnes, où il y a des chaises longues, etc. C’est des petits moments de respiration, il y a un bar de bières belges, si t’as envie de faire une parenthèse c’est des trucs qui font la différence. On a aussi fait un appel à projet, d’occupation et de décoration de terrains, on a reçu 170 idées, on a récupéré 15 collectifs et on a financé leur projet. Il y a aussi des projets participatifs avec le public. Le Dour ce n’est pas que de la musique et du camping.
Soyons futuristes, le DOUR édition 50 ça donne quoi ?
J’aimerais qu’il y ait une nationalité DOUR, avec une nation avec un passeport, un drapeau, que DOUR et qu’on soit reconnu comme tel, on a déjà notre cri de guerre, notre hymne.. D’ici la 50ème édition on voudrait que les gens comprennent tout ce qu’il y a derrière le DOUR, certains journalistes par exemples s’arrêtent à la programmation alors qu’il y a toute une communauté derrière.
Are you really Open Minded ?
Oui, sinon je ne serais pas là à te parler. C’est le vecteur principal de notre festival, écouter les autres, être très ouvert par rapport à tout, pour les occupations de terrains, la bouffe, j’ai besoin d’être à tous niveaux « Open Minded ».
Il vous reste encore un peu de temps pour gagner votre place et votre DOUR tous frais payés. c’est ici que ça se passe. On se retrouve au bar du petit bois ?
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