Jazz Liberatorz : quand le jazz et le hip hop ne font qu’un, une libération attendue et entendue
« Notre musique, le rap comme le jazz, n’est pas pauvre en France. Mais cette idée globale que s’en font la plupart des gens a fini par le ghettoïser. Pourtant c’est un truc universel présent dans toutes musiques mais encore plus dans celle-là. Ça sort des tripes, ça vient de l’âme… Et c’est ce qu’on essaye d’exprimer à notre tour »
Nous sommes au début des années 90. Lilian alias DJ Damage travaille avec Crazy B, monstre du hip-hop hexagonal (Birdy Nam Nam et Alliance Ethnik sont ses participations les plus connues), puis Cut Killer sur un projet d’association de dj’s nommé « le Double H ». Lors d’une session sur la radio (RM7) locale à Meaux, DJ Damage fait la rencontre de Benoît (Mahdi). Ils partagèrent alors ensemble les samples cherchés chez Lilian. Mahdi dixit lors d’une interview « à force de kiffer les mêmes disques, l’idée de mettre nos énergies en commun est venue naturellement. C’est la passion du rap et l’apport du jazz qui nous a réunis ».
Au début des années 2000, Damage fait la rencontre d’Aloe Blacc (Emanon) au Batofar alors qu’il travaillait sur l’émission de radio. Aloe Blacc lui propose de bosser avec un rappeur américain. Lors d’une interview, Damage explique qu’ils aiment le groupe Emanon qu’il formait avec Exile. Ils soumettent l’idée à Faster Jay -qui tient le label Kif– qui leur dit après une semaine de réflexion « allez, on y va. » Commence alors un travail à distance entre les Jazz Lib’ et les artistes qu’ils sont allés pêcher. « Tout s’est fait petit à petit avec la venue de ces artistes en France ou en Europe, qu’on allait chercher s’ils n’étaient pas sur le territoire français. » Il faut dire qu’ils ont vu juste. Le premier maxi sorti en 2003 a eu l’effet d’une véritable bombe dans l’univers hip-hop jazzy français. Avec la présence d’Aloe Blacc sur le titre What’s Real, la formation a signé un maxi somptueusement hip hop. L’apport du jazz au travers de cette musique urbaine était maintenant dans leurs mains.
En 2008 sort l’album « Clin d’œil ». Un titre bien français pour un album résolument tourné hip hop américain. D’ailleurs, quand on leur demande pourquoi avoir choisi de d’appeler ainsi, leur réponse est simple : « C’était par rapport à nos futurs détracteurs et Dieu sait qu’ils sont nombreux. On est un groupe de beatmaker français, mais on ne bosse qu’avec des ricains, donc pour contrer dans les interviews ce genre de propos on s’est dit qu’on allait donner un titre français à notre album. »
Et quel album, je me souviens avoir découvert les Jazz Lib’ à cette époque. C’était pour moi une bouffée d’air frais. Marre du brain washing de certains jazz fusion ou jazz justement un peu trop jazz pour mes oreilles. L’apport du jazz au hip hop est véritablement exquis à entendre quand il est dosé avec minutie. La sorcellerie de ce doux mélange est aussi due aux différents artistes invités sur cet album. « Après, la moitié de l’album « Clin d’œil » s’est faite à distance, via le net ; on était presque dictatoriaux dans le côté artistique, puisqu’on ne proposait qu’un seul morceau, une instru sur laquelle généralement on avait déjà essayé de poser une accapella de l’artiste à qui on soumettait l’instru en question (…) ; ça s’est fait au feeling, naturellement ; on a aussi eu une chance inouïe, car sur la partie à distance on n’a pas eu de déchet ou de gros mots, car à distance tu ne peux pas trop savoir ce qui va se passer, tu ne peux pas savoir comment la personne en face va interpréter ton truc, et on n’a pas eu de déconvenue, mais en même temps on était face à des gens qui avaient beaucoup de talent. On ne prenait pas trop de risque non plus. » (source, radio-antichambre.com)
Tre Hardson, Fat Lip et Omni sur Easy My Mind. La somptueuse voix de Lizz Fields sur Speak The Language. J.Live sur Vacation. Asheru, Tableek, Apani B Fly, Sadat X, Stacy Epps, Raashan Ahmad, Buckshot et Soul Clan. Comprenez qu’avec une line up aussi fournie, il aurait été compliqué de ne pas tous les citer.
Alors c’est simple, que vous soyez amateurs d’harmonies résolument jazzy, ou bien de hip hop ricain à souhait, j’vous adresse un clin d’œil en guise de claque auditive.
« MUSIC MAKES THE WORLD GO ROUND »
Les rythmiques sont pour la plupart générées par Dusty. Un mélange de breakbeat avec une sélection bien accordée d’overhead de batterie sur certains titres histoire de donner un peu plus de vie aux beats. Avec son sampler ASR10 et un peu d’Ableton, Dusty a de quoi donner le vertige aux amoureux des beats hip-hop. Damage et Mahdi eux bossent avec un sequenceur, Cubase le tout relayé à un sampler 6400 E-mu. Rajoutez à tout ça du bricolage sur Protools, forcément beaucoup de talent et obtenez une soupe qui fera pâlir les plus grands du milieu. Comprendre que la musique n’a pas de limite est une chose, oser mélanger des styles radicalement différents et en faire une seule et même molécule en est une autre. C’est une musique qui prouve que le jazz peut aussi être rapporté sur des beats hip-hop souvent critiqués par les puristes jazz qui les trouvent trop « easy ». Mais croyez le ou non, les Jazz Lib’ eux, sont borderline.
L’année suivante, Jazz Liberatorz sort un autre maxi appelé « Fruit Of The Past ». Toujours tourné hip hop jazzy, mais où les instru ont une place bien plus importantes par rapport à « Clin d’œil ». Rico et sa flûte sur « Breathing Pleasure ». Ou encore sur « Slow Down », un jazz très aérien sans oublier « Always Something ». Il y a même monsieur Mos Def sur « Mountain Sunlight » qui nous offre le bonheur de le voir partager l’album des Jazzlib.
Attendez vous à bouger la tête, à kicker vos 16 pour les poseurs de mots. Les Jazz Lib’ ça s’mange, et j’vous garantis qu’c’est bon !
Yoann
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